Le secret de Napoléon

 Le Secret de Napoléon – Robert Colonna d'Istria – Équateurs 02/2021


Un livre pour le bicentenaire avec un titre pour titiller la curiosité. Secret qui est de la même nature que l'ingrédient de la soupe aux nouilles dans Kung Fu Panda. Mais l'auteur connait bien son Napoléon et son itinéraire sur les traces mémorielles de l'ajaccien est intéressant. Et il  démontre que s'il fut un excellent militaire, c'est en politique qu'il a fait preuve d'un génie particulier. Mais les forces historiques ne peuvent pas être durablement bousculés par la volonté d'un seul homme, quels que soient ses mérites. Il reste un mystère à élucider, pourquoi deux cents après sa mort suscite-t-il encore tant de passions et tant de haines ?


Extraits :

« Colonna-Césari n'a pas su profiter des circonstances. À la guerre il y a un moment qui décide de tout.» Ce qui, de la part d'un garçon de vingt-trois ans, est une remarque troublante: on dirait un propos d'un vieux maître, instruit par l'expérience. Napoléon a le sens du kairos, divinité de l'instant, de l'occasion opportune. C'est une divinité minuscule. Lorsqu'elle passe, beaucoup d'hommes ne la voient pas, ou ne savent pas s'en saisir. Lui a toujours eu le génie de pactiser avec elle. (page 34)

Napoléon – homme d'ordre – n'était pas loin de partager l'opinion de Platon : en temps de guerre ou de paix, la mer est la cause principale de la corruption de la société et de la politeia, c'est-à-dire la citoyenneté, l'harmonie sociale. La mer, par le trafic, la revente des produits, les affaires commerciales et la chrématistique, « engendre dans les âmes, explique Platon, une disposition à se dédire sans cesse et à être de mauvaise foi, bref, fait que tout le monde dans l'État manque de bonne foi et d'amitié mutuelles ». « Napoléon n'estimait point les commerçants, constatera Chaptal. Il disait que le commerce dessèche l'âme, par une âpreté constante de gain, et il ajoutait que le commerçant n'a ni foi ni patrie. » (page 120)

[Waterloo] Il se pourrait que le fait le plus remarquable de cet événement historique soit à rechercher à Londres, dans les heures qui suivent la fin de la bataille. Des banquiers avaient flairé une aubaine. Connaissant l'issue de la journée, ils s'étaient d'abord débrouillés pour faire savoir que Napoléon avait gagné, nouvelle affolante qui a fait s'effondrer les cours de la bourse de Londres; ils ont alors tout racheté en un tournemain, avant de tout revendre, quand on a définitivement su que Wellington était vainqueur, et que les valeurs avaient regrimpé aux plus haute sommets: sur ce coup, quelques-uns ont gagné des sommes astronomiques, posant pour plusieurs générations les bases de fortunes colossales. Merci à ceux qui avaient laissé leur vie dans la boue de la Belgique ! Des banquiers ont spéculé sur le résultat de cette bataille, sur la vie ou la mort de dizaines de milliers de jeunes gens, et gagné des millions à cette spéculation: c'est cela qui a triomphé à Waterloo, cet univers-là, de marchands et de financiers, de joueurs en bourse, de milliardaires, des gens et des institutions qui, sous toutes les latitudes, imposent depuis deux cents ans leur ordre de fer au monde entier. Depuis deux cents ans imperturbablement fiers d'être plus malins que les autres: ils sont heureux de se remplir les poches. Et admirés, enviés par le commun des mortels, qu'ils plument. Cela leur suffit. Leur tient lieu de morale, de règle de vie, de boussole. Et, sous couvert de libéralisme et de démocratie parlementaire, ils dictent leur loi à l'humanité. (page 303-304)

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